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D'Ala-Buka à Samarcande: les multiples visages de l'Ouzbékistan

  • Photo du rédacteur: Alice Martin
    Alice Martin
  • 17 juin
  • 12 min de lecture

L'Ouzbékistan est d'abord un pays qui se fait désirer.

Après cette fameuse route M-037 au sud-Ouest de la Kirghizie et ses 300km de pistes de terre montagneuses qui ont été une belle aventure, je pensais être à seulement 15 km de la frontière, puis à seulement quelques jours de vélo de Samarcande. Mais ces 15 km me mènent à un poste-frontière... uniquement réservé aux locaux, kirghizes et ouzbeks.

J'apprends donc les subtilités entre poste-frontière pour les locaux, et poste-frontière "international": les militaires me disent que celui le plus proche est à 150km, et bien à l'est. Je suis donc bien loin d'être sur le plus court chemin pour aller à Samarcande... Une journée et demie plus tard, le poste-frontière désigné par les militaires se passe uniquement en train... et c'est finalement 30km plus tard que je tombe sur un poste-frontière que je peux enfin bien passer à vélo, même si mentionné fermé sur Internet. Là, le contrôle est bien plus ferme qu'à la frontière kazhake-kirghize: on me contrôle 5/6 fois le passeport, ainsi que ma température, et on manque de ne pas me laisser passer, car l'algorithme de reconnaissance faciale ne fait pas le match entre la photo de mon passeport et celle prise à l'instant à la webcam.


Dans la vallée de Ferghana


Ouf, me voilà tant bien que mal en Ouzbékistan !

Là, arrivée à la première ville, Uchkurgan, je suis accueillie de la meilleure des manières par un jeune de 19 ans, Saidbek, qui m'invite d'abord à manger chez sa famille, et finalement à passer une partie du week-end.


Et waouh, quelle immersion j'ai eu dans la culture ouzbek en moins d'une journée, via l'accueil de cette famille! Je ne sais même pas par quoi commencer... Alors commencons par les personnages.

D'abord il y a Saidbek, 19 ans, étudiant en économie à Tashkent, et parlant parfaitement anglais. Son rêve, c'est d'aller faire une année d'études aux États-Unis, mais voilà, il y a le retour de Trump. Il a déjà passé du temps à étudier en Chine, où il s'est rendu compte de la nullité du système universitaire chinois; et c'est cette Chine qui l'inquiète, car elle commence à avoir de l'influence en Asie centrale, plus que la Russie, dont il pense qu'elle va finir par s'effondrer. Quel plaisir de parler facilement avec ce jeune homme déjà si cultivé et curieux de savoir plein de choses sur l'Europe!

Puis il y a le père, Max, presque 60 ans, il s'excuse, il ne parle pas anglais, car il a grandi sous l'URSS, d'ailleurs il a même servi 3 ans dans un sous-marin en méditerranée pour espionner les occidentaux, mais il me rassure, il est pas communiste hein! C'est lui qui a construit la grande maison de campagne où je suis accueillie, qui est retraité de son boulot de douanier, mais depuis n'arrête pas, a une entreprise à Namagan et une Tachkent, et s'occupe de l'immense jardin. Ça me rappelle mon grand père maternel... car oui, les ouzbek sont des gros travailleurs, je les vois en ce week-end se coucher tard et se lever dès 5h pour préparer le petit déjeuner de charité que la famille donne le dimanche matin pour tous les hommes de village. Pour lui, le rêve, c'est l'Europe, dont il a eu l'occasion de visiter les pays nordiques avec son boulot.

Puis, il y a la mère Svenda, professeure de russe, toujours enjouée et à rire avec ses copines, qui prépare toute cette délicieuse nourriture (et notamment des poivrons farcis qui rivalisent avec ceux de ma grand-mère); c'est elle qui porte le premier toast à table en mon honneur, en me disant qu'elle si heureuse de m'accueillir, avec auprès d'elle les gens qui lui sont le plus proches.

Après avoir vécu la misère culinaire en Kirghizie, je tombe dans un extrême inverse. D'ailleurs quand je raconte mes déboires culinaires kirghizes aux ouzbek, ils rigolent et me disent qu'en terme de cuisine, la Kirghizie, c'est l'Angleterre et l'Ouzbékistan, la France 😂

On me fait manger, manger et re-manger encore: allez, petite française, prend des forces et goûte tous les plats ouzbek (qui sont tous bons). Après les deux repas du midi, j'avale l'équivalent de 3 dîners, et de 4 petits dej le lendemain matin. Mon estomac va-t-il un jour se remettre ??

Puis, il y a le grand-père, on visite sa maison, attention me dit Saidbek, lui c'est un communiste, un vrai, il est même cadre du parti!

Puis il y a la sœur, plus discrète, mais qui est si contente de me donner des vêtements ouzbek, puisque elle a un peu près le même gabarit que moi, qui nous conduit en ville dans une voiture électrique chinoise toute moderne (pourquoi ai-je attendu d'être en Ouzbékistan pour voir une voiture si moderne ??), fait le DJ en mettant la musique, cette musique orientale si entraînante, que vous pouvez pas connaître tant que vous êtes pas allés aussi à l'est qu'en Turquie, et qui même moi, la couche très tôt, me donne envie de veiller toute la nuit...

Il y a son fils, Chuz (pardon à tous ces prénoms que j'écorche), 6 ans, fier de me montrer ses jeux vidéos sur le smartphone, car oui, comme la plupart des enfants occidentaux, il est déjà pourri par le smartphone, mais c'est avec ça qu'il apprend aussi déjà l'anglais, dont il me parle avec un accent presque parfait, et qui finira par me faire plein de bisous. Et puis, il y a la nièce, Sabina, 11 ans, qui est au début toute timide, n'ose pas me parler, alors qu'elle est dans une école internationale où elle apprend rien d'autre que l'anglais, le russe, le turc et l'arabe (!); mais encouragée par Saidbek, elle finit par me dégoter tout son vocabulaire d'anglais, s'émerveille quand je liste tous les pays que j'ai déjà visité (et encore j'en ai oublié la moitié), et finalement ne me quitte plus d'une semelle en me demandant de nouveaux mots en anglais et français, et en m'apprenant des expressions ouzbek.


Avec Saidbek et sa famille


Et puis, il y a toute la famille annexe, qu'on me fait rencontrer, oncles, tantes, cousins, cousines, car figurez vous qu'on est quand même dans une famille où il y a en tout 126 petits enfants! (Mais ouf, maintenant, dans la nouvelle génération, la coutume c'est de ne faire que 3 enfants 😅). Ensemble, on se marre bien toute la soirée: eux rient un peu de moi, en mangeant pas comme il faut leur nourriture et prononçant mal les quelques mots d'ouzbeks que je connais, et moi je rie aussi beaucoup d'eux, quand ils évoquent tous Emmanuel Macron, mais qu'ils prononcent "macaron" 😂.

Voilà, un petit aperçu de ce que j'ai vécu avec cette famille; vous l'avez compris, on est du côté des riches là, et en plus une famille qui a été élevée dans la liberté me dit Saidbek; ici, on est plus ou moins athée, mais même si la pratique de l'islam est assez libre dans le pays, on ne le montre pas devant les voisins, alors on prie avec diligence avant et après le repas...


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De la vallée de Ferghana où je suis jusqu'à Samarcande, j'ai l'occasion de traverser en quelques jours des paysages variés et d'apercevoir les multiples visages de l'Ouzbékistan. La vallée de Ferghana concentre la majeure partie des ressources en eau de l'Asie Centrale, ce qui provoque des tensions parmi les 3 pays l'occupant (surtout l'Ouzbékistan, mais aussi un peu le Tadjikistan et la Kirghizie). Elle est très densement peuplée et cultivée: les travaux dans les champs se font encore assez manuellement, j'observe de nombreux travailleurs penchés sur les cultures. De cette vallée, je passe à une steppe urbanisée et sans charme où se succèdent de grosses pipelines, sûrement remplies de gaz. Une surprise naturaliste m'attend dans une partie un peu plus sauvage et plus marécageuse: une succession de nids de cigognes, qui nichent sur les pylônes électriques, j'ai même l'opportunité d'en voir voler de très près. Le climat ouzbek est complètement inhospitalier pour les cyclistes, alternant périodiquement entre grosse chaleur et pluie. Mais je me console avec une population des plus hospitalières. Je suis régalée par tant de gestes de générosité, que je ne sais où donner de la tête. Que ce soit le paysan qui m'indique où poser ma tente et revient le soir et le matin avec un peu à manger, ce restaurateur qui m'invite dans son restau et refuse que je paye, ces gens qui s'arrêtent à l'épicerie pour acheter des boissons qu'ils me tendent, les conducteurs qui s'arrêtent pour me donner de l'argent, les vendeurs sur les marchés qui me donnent melons ou pastèques.





Quand même bien ennuyée par ces routes trop plates (surtout quand on me refuse le seul col sur ma route, situé sur une route à péage et que je dois passer dans un camion), et la chaleur qui règne dans les plaines, je fais un crochet par une route de montagne longeant le Tadjikistan, située en partie dans un parc national, et qualifiée de Suisse Ouzbek. Là, je passe d'une partie peuplée de touristes et où - grosse surprise- je croise une télécabine toute moderne tenue par des employés effectivement aussi aimables que les Suisses, à une partie soudain super sauvage. En effet, un barrage militaire interdit l'accès au deuxième col et à la deuxième partie du parc: tous les visiteurs en voiture font demi-tour, tandis qu'on me laisse finalement passer; heureusement, j'avais checké avec le dernier poste de police que j'avais bien le droit de faire l'entièreté de la route, et cette autorisation policière est le saint-graal pour continuer. Ce n'est donc pas par la steppe aride - si l'on omet les derniers 50km de plat - mais par une belle route de montagne parsemée au loin de sommets enneigées qui donne sur une descente sauvage, que j'atteins finalement Samarcande le 31 Mai.

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Je visite Samarcande puis Boukhara grâce à un aller-retour en train (presque plus confortable que ceux de la SNCF), et les deux villes tiennent leurs promesses. Je suis émerveillée par les ensembles architecturaux grandioses bâtis par Tamerlan et sa descendance, et l'historique derrière l'ensemble des monuments qui témoigne de l'histoire de la route de la Soie.

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Samarcande
Samarcande

A Samarcande, en prenant des visites guidées proposées par des jeunes étudiantes anglicites, j'en apprends aussi beaucoup sur la condition féminine (moderne) dans le pays (et j'en reste assez choquée...).

Ici, on pratique encore le mariage arrangé, c'est quasiment tout le temps la famille qui choisit le/la fiancée, et qui a le dernier mot. Les jeunes filles sont considérées comme "vulnérables" tant qu'elles sont célibataires sans mari, sans être autorisées en général à quitter leur ville de naissance. Alors, on cherche à les marier le plus vite possible, souvent entre 18 et 20 ans, à des hommes un peu plus âgés qui ont aux alentours de 25 ans. Une fille qui se marie sur le tard, vers 25 ans, est considérée déjà comme une "fleur fanée", et on célèbre souvent son mariage pendant la rude période de l'hiver, alors que les autres mariages ont lieu au printemps ou en automne. Une fois mariée, la mariée doit aller vivre dans la ville d'origine de son mari, et c'est la famille de l'homme qui paie surtout le mariage. Celui-ci est l'événement d'une vie et doit être grandiloquent; les familles même pas forcément riches dépensent 20,000 dollars pour l'événement pour en général plus de 500 invités. Une fois mariée, c'est le mari qui décide si la femme a le droit de travailler; en général, la tradition veut que la femme fasse des enfants le plus vite, et s'en occupe ensuite. Le gouvernent essaie cependant de lutter contre le poids des traditions et l'indépendance des femmes, en offrant aux femmes qui arrêtent souvent leurs études à la licence, la possibilité de faire un Master gratuitement.

Ma première guide, M. (Prénom oublié....), 19 ans, est très critique vis à vis de ces traditions, et pour l'instant résiste au mariage. Elle nous explique aussi que beaucoup d'Ouzbeks cherchent à partir à travailler à l'étranger pour ramener de l'argent à la famille restée sur place: Samarcande est d'ailleurs la deuxième ou troisième ville au monde en terme de demandes de Green Card. Son frère, après avoir fait 8 ans de médecine en Russie, est seulement masseur à New-York; ses parents sont en ce moment en Angleterre où ils emballent des salades dans une usine; ce qui semble suffir néanmoins à ramener assez d'argent en Ouzbékistan.

Ma deuxième guide, Sabina, 18 ans, va se marier dans quelques mois. Elle ne voulait pas - me dit-elle alors que via son job de guide, elle voit le monde sous le prisme des occidentaux, mais a été rattrapée par la pression familiale et la sensation qu'elle gagnerait un peu de liberté, si elle se mariait d'abord. Finalement, elle est excitée à l'idée de se marier, car bien qu'il s'agisse d'un mariage arrangé, ça a été le coup de foudre lors de la cérémonie de fiançailles.

Et oui, beaucoup de progrès à faire pour l'émancipation des femmes et l'égalité homme/femme...

A l'auberge de jeunesse où je réside, où on vit au milieu de la famille, c'est la femme qui s'occupe de gérer l'hôtel, faire le ménage, s'occuper des deux filles, et faire à manger, pendant que le mari se fait servir, et regarde des vidéos sur son smartphone en sirotant une bière...


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Boukhara


Un impossible imbroglio pour attendre un evisa tajik qui me permettrait de rester plus de 30 jours dans ce pays où il y a tant de montagnes à explorer, me fait prolonger mon séjour en Ouzbékistan.

Je vais en vélo visiter les Monts Nourata, une petite chaine de montagnes modestes au Nord de Samarcande, mais qui vaut paraît-il le coup pour son eco-tourisme, ses villages à la berbère et ses sentiers sauvages.

Je suis encore régalée d'une heureuse hospitalité, je ne parviens pas à planter une seule fois ma tente, me faisant à chaque fois invitée par des familles, dans ces zones où on vit plus simplement, souvent sans eau courante, dans des maisons faites seulement de briques et de pierres séchées. Je suis d'abord sur -sollicitée par une grande famille de 4 enfants, et les oncles/tantes, neveu qui les accompagnent, où l'on me pose des tonnes de questions sur Google Translate, et on vidéocall toute la famille élargie pour dire qu'on vient d'accueillir une touriste française.

Puis à l'opposé, par un couple de grands parents tout discrets, me laissant dans le havre de paix qu'est leur jardin et leur "dacha" (annexe), en ne me gavant pas pour une fois comme une oie, mais juste par quelques fruits du jardin et œufs des poules.

Mais c'est en montagne, alors que je randonne que j'aurais les rencontres les plus intéressantes.


Mon sentier commence par suivre le lit d'une rivière, où aux principaux points d'eau, des villageois vivent dans de simples petites bâtisses de terre, entourés de quelques vaches.

Je suis rejointe tout d'un coup par 2 jeunes locaux d'à peu près mon âge, l'un avec un âne. Autant au Kazhakstan et en Kirghizie, le cheval était roi, autant en Ouzbékistan, c'est l'âne qui est omniprésent, et sert à transporter tout un tas de choses dans la campagne et en montagne.

On communique très difficilement, mais je leur dis que je vais vers le lac fazilman, et ils semblent aller dans la même direction. Ils sont très gentils, on prend des photos ensemble. A la fin de la montée un peu raide, alors qu'on arrive sur une sorte de plateau, ils me disent de monter sur l'âne. Et donc je fais 4km à dos d'âne ! Expérience très sympa, même si - moi qui ait absolument aucune expérience en sport équestre- je balise sur les quelques descentes un peu caillouteuses. Mais l'âne s'en sort très bien, faisant vaillamment ses 4/5 km/h.

Et nouvelle surprise, les 2 jeunes me conduisent avec l'âne dans une cabane de bergers, où 2 de leurs potes bergers nous accueillent pour un déjeuner anticipé.

Dernière bonne surprise, l'un des 2, Ilyas, parle très bien anglais. Alors, pendant qu'on mange la soupe et qu'on boit le thé, j'en apprends beaucoup sur la vie locale. Les monts Nourata qui comportent 7 séries de villages sont peuplés de tajiks. Ilyas et son camarade gardent pendant 3 mois, de juin à septembre - les brebis, en vivant dans la petite cabane de bergers où ils nous accueillent. Ils se nourrissent principalement de viande séchée (agneau puisqu'ils ont ça sous la main) et de pommes de terre, qu'ils arrivent à faire pousser juste à côté. Une fois par semaine, ils vont les 10km et 1000m de dénivelé pour descendre au village, et récupérer des fruits/légumes de leur jardin, qu'ils remontent grâce à leur âne. Ilyas est sinon professeur d'Ouzbek au village le reste de l'année: l'école est enseignée en tajik, mais les écoliers apprenent bien entendu l'Ouzbek. Beaucoup de jeunes du village partent en ville à Samarcande, où on parle aussi en majorité tajik: c'est le cas de Ramazan, un des jeunes qui a fait la montée avec moi, et qui revient au village seulement l'été pour s'occuper des vaches.

Autre fait marquant, Ilyas a étudié à l'université à Termiz, une ville ouzbek situé juste à la frontière avec l'Afghanistan, où il entendait régulièrement des coups de feu provenant de la ville afghane Mazar-al Sharif, située juste de l'autre côté de la frontière, et a dû partir précipitamment lors du retour des talibans après le retrait des US.

On finit par parler argent; les ouzbek sont très peu pudiques à ce sujet, et sont intéressés par comparer les prix occidentaux avec ceux de leur pays. J'apprends qu'ici, on peut acheter un terrain constructible pour 50 dollars, que tout le monde n'a pas forcément de voiture mais que tout le monde a au moins un âne, dont les plus robustes valent 300 dollars, qui est aussi le salaire d'Ilyas en tant que professeur (!). Mais avec ça, du fait qu'il vit en auto-suffisance alimentaire avec la viande de ses brebis et son jardin, il arrive à survivre aux besoins de son épouse qui ne travaille pas, et son premier enfant.

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Je quitte L'Ouzbékistan sans regret, avec une grosse hate d'aller dans les montagnes tadjiks, plutot que de subir la chaleur de la plaine et ces steppes bourrées d'insectes parasites inhospitalières pour le bivouac. Mais satisfaite d'avoir eu un aperçu des multiples visages de ce pays contrasté: un pays où l'on circule à la fois en voiture électrique et encore à dos d'âne, où les trains sont si modernes mais les toilettes publiques sont souvent dégueu et sans eau, où les ouzbek semblent être à la fois fiers de leur pays et de son patrimoine historique, mais rêve d'aller immigrer en Europe ou en Amérique du Nord.


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