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De Samarcande à Kyzyl-Art: les dangers et les beautés du Tadjikistan

  • Photo du rédacteur: Alice Martin
    Alice Martin
  • il y a 12 minutes
  • 17 min de lecture

Samarcande-Duchanbe


Le Tadjikistan se dévoile d'abord par deux contrastes. A la fois un calme soudain sur ses routes du à une circulation quasi-inexistante, paix bienvenue après la densité ouzbek, mais aussi l'enthousiasme débordant des enfants oisifs aux abords des villages, qui habitués des cyclo-touristes, se mettent en file indienne pour me taper la main et me saluer super gaiement dans un anglais surprenament développé.

Ce pays montagneux tient ses promesses, et sur la route Samarcande-Duchanbe, je retrouve avec plaisir le dénivelé, les cotes, la vue sur les sommets, et les rivières abondantes, en plus sur des portions pour l'instant parfaitement asphaltées.





Mais ici, la montagne est aussi synonyme de danger... Je l'apprendrai à mes dépens lors d'un détour pour aller voir de plus près les Monts Fann, chaîne de montagne à proximité de la capitale, dont le côté sauvage et les sommets abrupts rappelent l'Oisans. C'est au début d'un trek de 2 jours où j'ambitionne de faire une boucle de 60km passant par un col à plus de 4000m, qu'un petit drame survient, sous la forme d'un chien de berger très agressif, qui déboule vers moi et plante trois de ses dents profondément et violemment dans un de mes mollets, avant que j'ai le temps de faire quoi que ce soit pour me protéger.




De cet incident, survenu à à peine 9h30 du matin, mais alors que j'avais déjà marché 16km depuis le dernier village, s'ensuit une journée haletante: après 3h d'attente devant la cabane de berger où je discute à bâtons rompus avec le jeune garçon de la famille pour comprendre son estive dans la montagne, un camion de chantier me rapatrie jusqu'au village, puis mon hôte à la guest-house me redescend jusqu'à la route principale, où je suis prise en stop par de sympathiques camionneurs jusqu'à l'entrée de la capitale, Douchanbe, que j'atteins en début de soirée. Et où je finis par une dizaine de km en vélo à travers la ville, pour m'effondrer dans une chambre d'hôtel, épuisée par le stress et l'adrénaline d'une journée qui ne s'est pas du tout passé comme prévue !


Duchanbe



Le lendemain, mon expérience de la capitale commence par une expérience sanitaire, car c'est direction l'hôpital, pour d'obligatoires piqûres contre la rage, et le soin de ma morsure. L'hôpital public est issu de l'héritage soviétique, avec un système de "polyclinic" numérotées soignant chacune des maux précis. Ici, tout paraît old school et sortir d'une autre époque, des locaux aux compresses qu'on m'applique sur mes plaies, mais les médecins sont étonnament disponibles, sympathiques et bienveillants... Et aussi super prudents, car on voudrait me faire 6 piqûres contre la rage, alors même que je m'escrime à leur dire que 2 suffisent, étant donné que j'en avais fait 2 préventives avant mon départ en France.

Ces soins sont loins de me ruiner, puisque ma première piqûre et le nettoyage et soin de mes plaies me coûtera... la modique somme de 50 centimes !

Les quelques jours de repos pour cicatriser sont l'occasion de discuter d'expériences de voyages avec la sympathique communauté cycliste, qui se rassemble toute au Green House Hostel. Ces rencontres qui te font dire que le monde est petit...

Je rencontre notamment Adrien, un français qui a fait sa thèse à Supaero pendant que j'y étudiais (et m'aurait peut-être même donner des cours!), et Clarisse, jeune retraitée française aussi, amoureuse du Pamir depuis des années, et avec qui j'avais discuté par Skype (car c'est une mine d'informations sur l'Asie Centrale) il y a 3 ans.

La visite de la ville me fait comprendre que Douchanbe est une capitale surprenament moderne, avec sa flotte de taxi constituée de voitures électriques chinoises, ses parcs impeccablement tenus remplis de fontaines: on dirait que tout l'argent du pays a été injecté dans la capitale, qui arbore aussi de nombreuses immenses photos de son président, véritable icône stalinienne !

Mon retour en selle se fait pour finir de pédaler la portion de la route Samarcande-Duchanbe que j'ai du faire en catastrophe en stop, et notamment le magnifique et sauvage col d'Anzob (qui contourne la route principale et son étroit tunnel non éclairé de 5km, surnommé par les cyclistes "tunnel de la mort").



La route Nord pour atteindre le Pamir


Puis c'est direction le Pamir.

Le Pamir, j'en parle depuis un moment. Région et chaîne de montagnes du Tadjikistan, ses routes sont réputées comme certaines des plus dures à faire en vélo au monde, du fait du fort dénivelé, des pistes très mauvaises, des cols de montagne à plus de 4000m, des passages de rivières parfois très galères, et de son caractère isolé. Certains appellent même le Pamir "l'Himalaya" du cycliste, et pour certains cyclistes, c'est un rêve de faire la Pamir Highway dans sa "carrière" de cyclo-touriste.

De mon côté, je ne vois pas ça comme un rêve, mais le Pamir est une des raisons pour lesquelles j'ai choisi de pédaler en Asie Centrale.

Deux routes permettent d'atteindre l'extrémité Ouest de la région du Pamir, et je choisis la plus sauvage et la moins asphaltée, celle culminant le plus haut, communément appelée "La Route Nord", par opposition à la Route Sud.



Et déjà, dès le deuxième jour, le ton et la difficulté sont donnés: une chaleur suffocante (il fait 40C quand je quitte Duchanbe), des pistes atroces souvent très sablonneuses où mes pneus ripent constamment, des nuages de poussière soulevés par les véhicules qui me croisent, des montagnes russes où le dénivelé positif s'enchaine sans que je monte beaucoup, un certain isolement puisque la route qui suit une sorte de canyon pendant 150km ne croise que quelques minuscules hameaux. Paradoxalement, la partie la plus simple est la montée au col de Saghirdasht culminant à 3252m, où la piste retrouve une qualité "kirghize", donc surprenament agréable à pédaler.


Les itinéraires Nord et Sud se rejoignent à la ville de Qalai-Kumb, porte d'entrée du Pamir. De là, la route longe pendant environ 200km la frontière avec l'Afghanistan, où règne une ambiance bien particulière. D'abord tous ces militaires, chargés inlassablement de surveiller la frontière, car oui, ici on craint les talibans, bien que la rivière Panj offre un obstacle de taille naturel entre les 2 pays, et que la partie afghane, jalonnée d'une piste très abrupte semble bien montagneuse et isolée. Je les vois soit en train de marcher au pas, soit perchés dans des postes d'orientation stratégiques en hauteur, soit dans des convois: ils sont toujours très accueillants avec les touristes, et me lancent des grands "Hello!".

Puis ces zones de travaux régulières où circulent de gros camions de chantier, car peu à peu on essaie de bitumer toute la route, ça fait partie du projet chinois des "nouvelles routes de la Soie" qui relient la Chine à l'Ouzbékistan. Si je circule encore en majorité sur des pistes de terre dégueu, dans quelques années, la Pamir Highway sera sûrement entièrement asphaltée, perdant tout son caractère difficile... A cela s'ajoute une circulation plus dense, notamment à cause de la visite présidentielle pour la fête nationale à Khorog, la capitale du Pamir, qui donne lieu à des convois de voitures de police, m'aspergeant allégrement de poussière sur leur passage.

Les militaires ont aussi la tâche de chasser les pauvres cyclos tentant du camping sauvage près de la frontière: mais que cela ne tienne, il suffit de se réfugier pour la nuit dans les villages, et c'est comme ça que le deuxième soir, je découvre la formidable hospitalité pameri.



C'est Sonila, 15 ans, qui parle un anglais scolaire assez fluide, qui est la maîtresse d'ouvrage pour m'accueillir dans sa maison, où elle loge avec sa tante et ses cousins. La famille est en effet dispatchée, ses parents, ingénieur et doctoresse sont en Russie (avec aussi le frère qui étudie), pour gagner plus d'argent et faire mieux vivre la famille. Sa petite sœur habite 2 villages plus loin chez les grands-parents.

Je comprends que la région du Badachtan (nom officiel du Pamir) enclavée dans le Tadjikistan est un peu l'équivalent du Kurdistan turc à l'intérieur de la Turquie.

Sonila parle clairement d'un côté du "Badachtan" et de l'autre du "Tadjikistan". Elle me dit que les pameri ont leur propre langue (avec différents dialectes suivant les sous-régions du Pamir) qu'ils parlent à la maison, même si à l'école, tout est fait en tadjik. Les Pameri sont plus pauvres que le reste du Tadjikistan me dit-elle encore, mais souvent plus joyeux. Bon clairement, la famille semble entrer dans la catégorie plutôt riche des Pameri, avec les parents éduqués ramenant l'argent de Russie: Sonila a d'ailleurs un iPhone dernier cri, qui rend mon Samsung premier prix très miséreux 😂... A l'image des kurdes, les Pameri semblent aussi beaucoup plus libres et aux valeurs modernes que le reste de la population: ici les femmes travaillent, ne portent pas le voile, Sonila me montre la photo de son petit copain, et me dit que non, contrairement aux tadjiks, ici on est pas encouragé à se marier dès 18/19 ans...

Je passe finalement une soirée incroyable avec toute la famille et les voisins autour de la "Manjar", cette terrasse remplie de matelas et tapis caractéristique, où se posent et vivent les Pameri les chaudes journées d'été.

D'abord, on me sert un super repas, avec une grosse plâtrée de pâtes, le repas parfait du cycliste affamé!

Et puis, on discute de tout et de rien; avec les jeunes garçons tout mignon, j'ai la barrage de la langue, mais je trouve un langage universel: on joue pendant un bon moment à "pierre feuille ciseaux", ça a l'air de leur faire tellement plaisir... Et puis, quand ils se comparent leur biscotto entre eux et font des concours de pompes, je me joins à eux, et ils sont finalement tout impressionnés que j'ai plus de muscles qu'eux et que je les batte aux pompes 🤣 !

La soirée se termine sous le son de la musique et en dansant: Sonila adore danser et prend d'ailleurs des cours. Tous les voisins accourent, certains dansent, d'autres nous filment, et semblent super contents que j'essaie tant bien que mal d'imiter les gestes assurés de Sonila, tout comme ils se prennent au jeu de danser sur de la musique française.

Encore une de ces rencontres inestimables, qui justifie tous les déplaisirs à vélo de la journée et des journées précédentes !



La Bartang Valley


C'est à Rushan, une des rares petites villes du Pamir, que je décide du reste de mon itinéraire pour traverser la région. A la dernière minute, je décide de pédaler la Bartang Valley, l'itinéraire très "VTT" réputé le plus dur, reculé et aventureux de la région, mais aussi le plus sauvage et sûrement le plus beau.


La vallée de Bartang porte le nom de la rivière qui la traverse, et est parcourue par une série de hameaux espacés en moyenne d'une quinzaine de kilomètres sur 164km, jusqu'au dernier, Gudhara, situé à environ 3000m d'altitude. Ensuite, la route quitte le lit de la rivière, pour monter sur un plateau qui atteint un peu plus de 4000m d'altitude, jusqu'à rejoindre 120km plus tard la Pamir Highway, et la partie Est (la plus haute) du Pamir, non loin de son col routier le plus élevé, situé à 4655m d'altitude.

Pédaler la Bartang Valley se révèle être une expérience incroyable, tant d'un point de vue des épreuves à surmonter, des paysages tellement époustouflants, dépaysants et très diversifiés, que de la formidable expérience de la culture et l'hospitalité pameri.



Je mets 4 jours pour parcourir la partie habitée de la vallée, où se succèdent tous les 15/20 km environ des hameaux, formés par des oasis de verdure dans un paysage autrement assez rocailleux, austère, peuplés de pentes abruptes propices aux éboulements, de ponts de singe sauvages qui traversent la rivière et de sommets vertigineux. Et je suis finalement face à un grand contraste, entre les parties où je pédale dans une grande solitude et un certain silence (je dois croiser 2/3 voitures par jour) sur une piste d'une qualité très diverse, tantôt très sablonneuse, tantôt très rocailleuse, et quelque fois agréablement lisse, et l'hospitalité exubérante des villageois dans les hameaux, qui m'accueillent plusieurs fois par jour pour le chai, et pour me gaver de leurs plats locaux. Je rentre donc dans ces maisons pameri typiques, plutôt basses, d'aspect miséreux à l'extérieur (enduites simplement de terre/chaux), caractérisées à l'intérieur par les poutres en bois apparentes, et ce motif typique du plafond étoilé en bois. L'intérieur est cependant plus cozy, avec ces tapis et couvertures bariolées si typiques, souvent cousus par les grands-mères, et beaux coffres en bois recelant le surplus de couvertures (si précieuses pour l'hiver si rigoureux). Ce sont les seuls luxes de maisonnées si simples, où le sol reste souvent en terre, où l'on cuisine à l'extérieur au feu de bois ou à la bouse de vache séchée, où l'électricité est très sporadique (souvent que le soir, et soumise éternellement aux coupures). L'ennui, notamment lors des longues journées d'été semble atteindre son comble: hormis les quelques personnes travaillant dans une carrière ou un barrage et les professeurs d'école, il n'y a pas de travail ici. Les hommes de toutes les familles tentent d'aller travailler en Russie: là-bas, ils travaillent souvent dans la construction mais généralement illégalement, et finissent par se faire expulser, retournant désoeuvrés dans leur village, mais parfois avec quelques objets modernes, comme une smartphone ou une bouilloire. Sinon, on vit donc ici en auto-suffisance, via les quelques champs de patates et de haricots, le pain qu'on cuit à longueur de journée dans les fours, et les quelques bêtes (moutons et vaches), qui doivent avoir pourtant peu à manger dans ces paysages si austères. Oui, la pauvreté règne, j'ai beau être crade, je suis plus propre que la plupart des villageois, et je possède dans mon vélo plus de possession que toute la famille, mais néanmoins la nourriture n'est pas un problème.



Alors on est si content de m'accueillir, de me regarder pendant des heures manger: hormis les quelques télés qui crachent des séries russes ou des dessins animés en farsi pour les enfants, je suis la seule distraction: dans toute la vallée, pas d'internet ni de vrai "réseau", juste quelques points stratégiques dans les villages où ça capte assez pour appeler sur vieux nokia/Motorola antiques.


C'est le troisième jour, au village de Rukhch, que j'ai la plus grande expérience de cette vie de village si simple.

En début d'après-midi, je me retrouve comme d'habitude invitée par des enfants qui trainent, pour le thé...

Encore une fois, toute la famille me regarde et insiste pour que je mange la grande plâtrée de pâtes qu'on me sert : je tente un brin de conversation en anglais avec la plus grande fille, Azizma, qui m'invite alors à venir se baigner dans l'étang avec elle, qui semble être le loisir principal des enfants du village. J'acquiesce, ça m'évite d'avoir à finir les pâtes, et puis de toute façon, j'ai bien trop mal au ventre à force de ne faire que manger, pour pouvoir re-pédaler tout de suite.

J'ai beau avoir sorti mon maillot de bain de mes sacoches, quand je vois Azizma et sa copine se baigner en t-shirt et caleçon long (et oui pays musulman...), je comprends que la bienséance m'invite à faire pareil, et tant pis, je trempe tous mes vêtements de vélo 😅..

Les 2 filles sont si ravies d'avoir une nouvelle compagne de jeu dans ce village encore si isolé, qu'elles insistent pour je reste toute l'aprem et que je dorme au village. Allez, ok, tant pis si je n'ai fait que 30 km, et si je sens que je suis de moins en moins maîtresse de mon itinéraire, au vu de l'hospitalité si exubérante des habitants de cette vallée, qui me stoppe dans toute tentative de faire des km...

Le reste de l'après-midi et la soirée sont finalement bien occupés: entre balade sur un promontoire pour avoir une vue d'ensemble du village, visite au restant de la famille dans les différentes maisons (où je consomme mes respectifs 5ème et 6ème repas de la journée), cueillette des cosses d'haricots (ici, on cultive patates et haricots), partie très sympa de volley garçons contre filles (le seul luxe du village est d'avoir un filet de volley), surveillance du troupeau de chèvres en train de rentrer au bercail, et cueillette des abricots dans les abricotiers...

Le lendemain, j'ai beaucoup de mal à m'extirper du village, car Azizma aimerait que je passe encore toute la journée avec elle: alors je coupe la poire en 2, et pars en milieu d'après-midi.



Les 20km restants pour atteindre le dernier village de la vallée, Gudhara passent un col bien raide et me prendront le reste de l'après-midi: quand j'atteins la guest-house en début de soirée, une bonne surprise m'attend. Un autre cycliste est là, qui fait le circuit en sens inverse (donc en descente, beaucoup moins maso que moi...) qui se révèle être... un grenoblois habitant dans les balcons de Belledonne ! Alors, on parle de ski de rando et de la foule qui règne sur les départs proches de Grenoble, et des beaux tours à faire en Haute-Maurienne, puisqu'il est originaire de Saint-Jean de Maurienne... Quel heureux hasard de croiser un presque voisin dans ce hameau perché à 3000m dans cette vallée si difficile d'accès, qui doit être l'une des plus perdues au monde !


Les trois derniers jours dans le no man's land qui permettent de sortir de la Vallée du Bartang et de rejoindre la Pamir Highway sont une série d'épreuves, et tournent à l'enfer.

D'abord le premier jour, je quitte Gudhara par une montée très raide, faite entièrement en poussant le vélo. Après 25km, après déjà 2 passages à gué pas très marrants qui m'ont pris du temps, je me retrouve devant le pire passage à gué de ce que j'ai rencontré jusqu'à présent, en terme de remous et de largeur à franchir.

Je me demande si je vais actuellement oser le franchir avec toutes mes affaires, et si je ne vais pas être condamnée à faire demi-tour...

Je teste le franchissement à vide à l'endroit où passe la route, mais je rends compte que la force du courant me dissuade d'oser le passer avec des bagages puis un vélo... Presque désespérée, je parcoure tout le lit de la rivière pour essayer de trouver une ligne de faille qui serait un peu plus aisée à franchir. J'opte pour un endroit qui est le plus large, mais le moins profond avec des îlots immergés qui permettent de se reposer et se finalement franchir le gué en plusieurs petites étapes. Je teste le franchissement à vide, puis fait de multiples passages en transportant à chaque fois une seule sacoche, de peur que trop de poids me déséquilibre, alors que déjà je lutte contre le courant... Chaque passage est fait la boule au ventre, surtout le dernier quand je dois finalement faire passer mon vélo... Celui-ci manque de se faire emporter, je lutte de toutes mes forces pour le retenir, et ouf j'arrive finalement sur l'autre rive avec tout mon matériel intact !

Ce passage m'aura pris bien une heure, mon pantacourt de vélo est bien trempé, mais je suis tellement soulagée: d'après les informations données par Francis, le cyclo rencontré la veille, ça devrait être le dernier gros passage de rivière.

Le relâchement après le stress de franchir cette rivière me fait oublier mes tennis sur la rive: je m'en rends compte 3km plus tard, et dois faire demi-tour (sachant qu'ici chaque kilomètre est très cher payé): il faudrait pas que je finisse à pieds nus, alors que mes sandales malmenées par tous les passages à gué sont en train de rendre l'âme...

Je n'ai peu de répit, puisque la route remonte en lacets raides vers un col, où je pousse le vélo en fin de journée, puis dès le réveil le lendemain. J'enregistre des pentes à 23°, où c'est tout juste s'il ne faut pas que j'enlève mes sacoches pour arriver à pousser mon vélo. J'atteins un nouveau record, 2.8km en 1h !

Je suis dans une solitude absolue (assez opressante), sur une portion de l'itinéraire passable seulement à pieds ou à vélo, car des portions de route se sont effondrées et des chutes de pierre bloquent l'accès à des véhicules plus larges et plus encombrants. Je ne peux donc compter que sur moi-même et sur aucun possible secours.

Le col débouche sur un vaste haut-plateau qui semble s'étendre sans fin, où règne un soleil brûlant qui transperce même les vêtements, et sans aucune zone d'ombre. Un climat infernal, qui donne juste envie de sortir d'ici le plus vite possible, mais c'est sans compter en plus sur un soudain fort vent de face qui se lève, et complique encore ma progression déjà bien ralentie par les pistes sablonneuses très glissantes.

Ce deuxième jour, je mets pour 9h pour parcourir seulement 52 km !

Je ne fais que des nuits à la belle étoile, pour économiser l'énergie de monter une tente, et pour gagner du temps le matin, mais je finirai par le regretter, au vu des nombreuses piqûres de moustiques qui peuplent mon corps... Le silence parfait de la nuit est lui aussi un peu oppressant.

Le troisième jour, je me lève aux aurores, avec un bon mal de crane après avoir passé la nuit à 4000m, pour parcourir les 30 km restants avant de rejoindre la Pamir Highway. Mais je suis encore mis à l'épreuve par une série de mauvaises surprises, un no man's land où c'est facile de se perdre et où je sors tout le temps la carte, des multiples passages boueux qui finissent par dégueulasser tout mon vélo et neutraliser mes patins de frein, des pistes sablonneuses toujours aussi casse-gueule, et un inattendu dernier passage à gué... qui est le plus large et profond à franchir, mais heureusement avec trés peu de remous. Je me mets en culotte, et mouille même celle-ci, perds une sandale au passage qui se fait emporter, mais c'est un moindre mal...J'atteins la Pamir Highway complètement au bout de ma vie, soulagée d'être sortie de cet enfer, et de retrouver le bitume, même en étant toujours au milieu d'un désert lunaire, dans une circulation inexistante.

Mon plan original était de parcourir encore 110 km et passer le col à 4655m le plus haut de la Pamir Highway pour rejoindre Murghab, mais je n'ai quasiment plus de vivres, et surtout seulement la force de me traîner dans le sens inverse vers le hameau de Karakul, situé 24km plus loin. Celui-ci respire une misère encore inégalée, mais je tombe sur une guest-house au confort insoupçonné, où je m'effondre sur un lit pour une sieste dont je rêve depuis des heures...



Les Hauts-plateaux Pameri


Retournant ensuite finalement bien vers l'Ouest pour atteindre Murghab, je reste ensuite plusieurs jours sur les hauts plateaux pameri. Cette région si inhospitalière...

Le col d'Ak-Baital est finalement une autre belle épreuve, entre l'effet de l'altitude, l'air très sec qui brûle la gorge, le petit vent de face, et la piste sur les quelques derniers 100m de D+ bien mauvaise par endroit...

Murghab, LA ville de l'est du Pamir (peuplée seulement de 6000 ames), perchée sur un plateau au milieu de nulle part à plus de 3600m, est balayée par les vents au point où on observe parfois se former des nuages tourbillonnants de poussière, par un soleil brûlant en milieu de journée, et quand le vent se calme, par des nuées de moustiques prêts à pomper tout ton sang...

Mais dans les guest-house familiales, l'intérieur si cozy et l'accueil si chaleureux sont à l'opposé de cet extérieur si rude. Les femmes des maisonnées sont particulièrement adorables, surtout avec moi, car je bénéficie de l'aura "femme seule voyageant à vélo".

J'y rencontre beaucoup de cyclistes, et surtout des compatriotes. D'abord, David, la cinquantaine passée et après avoir tout plaqué en France, parti en vélo depuis presque un an, et qui s'épanouit pleinement dans son voyage, et continue vers l'est sans désir de retour prochain. Puis Bernard et Arthur, père et fils, voyageant ensemble sur 5 semaines pour faire le Pamir et un petit bout de Kirghizie. Arthur, étudiant en thèse à Grenoble sur un sujet mélant sport, histoire et aventure sur la route de la Soie, est à peine 26 ans déjà d'une maturité surprenante, et grand lecteur, une mine d'informations sur les pays de l'Ex-Union Soviétique !



La visite succincte de Murghab est intéressante: historiquement, la ville est peuplée d'une population kirghize, et je vois de nombreux hommes se balader avec le fameux chapeau kirghize. Sa particularité réside dans son fameux marché de containers: ici, ça paraît tellement compliqué de bâtir en dur des bâtiments, que le bazar de la ville est constitué d'un ensemble de containers (la plupart sûrement récupérés dans les flux commerciaux provenant de la Chine voisinr), chacun vendant des objets / aliments particuliers. Mais beaucoup ne sont même pas ouverts: le commerce et le ravitaillement périclitent ici, car l'essentiel des denrées vient d'Osh, la grande ville du Sud-Est de la Kirghizie, et les perpétuels conflits entre les deux pays ferment la frontière pour les locaux depuis quelques années... Du fait de la fermeture régulière de la frontière, Murghab est une ville qui se vide, car la majorité des kirghizes ne peuvent pas aller voir leur famille de leur côté...

Les communautés kirghizes sont en général ici des semi-nomades: une partie de la famille garde des petits troupeaux de yaks et brebis sur les plateaux, pendant les quelques mois qui ne sont pas l'hiver: puis, le restant de l'année, où doit régner des températures glaciales, toute la famille se serre et se réchauffe dans une seule pièce, en se chauffant uniquement via un petit poêle qui brûle de la bouse de yak séchée.



Mes quelques tours de vélo autour de Murghab sont encore dignes de la difficulté des itinéraires Pameri, entre pistes "tôle ondulée" infâmes à pédaler, et fort vent de face qui donne l'impression d'être dans une soufflerie. Mais c'est le 12 Juillet, le jour de mon anniversaire, que je fais finalement un bel itinéraire avec David, qui traverse encore une de ces vallées lunaires pour atteindre sur un promontoire, un vieil observatoire soviétique qui vaut le détour... et en plus accompagné d'une super vue sur les premiers sommets de l'Himalaya chinois, notamment le Mustaghata ! Et qui donne lieu à une soirée et à une nuit de bivouac parfaite, partagée avec en plus de David, Antonia et Patrick, 2 sympathiques touristes allemands venus en 4x4.



Je quitte les hauts plateaux Pameri et le Tadjikistan le 16 Juillet, via le col de Kyzyl-Art (4282m), sous une météo qui a complètement tourné: le pluie-neige et le vent glacial me donnent l'impression d'avoir été soudainement catapultée dans une autre saison!

Le poste-frontière tadjik, situé a 1.5km avant le col est désert: devant, est affichée une grande banderole montrant le président tadjik et le président kirghize se serrant la main, qui doit dater d'à peine plus d'une semaine, au moment où ils ont décidé la ré-ouverture de la frontière pour les locaux (je croiserai juste après le signe "H" marqué à la la va vite sur la piste, où l'hélicoptère du président a du se poser...). Ici, on enregistre les voyageurs en mode old school, en reportant diligemment toutes les informations de mon passeport sur un cahier d'écolier.


Le col, qui marque la délimitation entre les 2 pays, me fait basculer tout d'un paysage sec et assez lunaire aux vertes prairies kirghizes peuplées de marmottes. Mais la suite de la Kirghizie, ce sera le prochain épisode !



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