De Qorday à Ala-Buka: un premier aperçu des montagnes kirghizes
- Alice Martin
- 6 juin
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 juin
Le 14 Mai, j'arrive au Kirghizistan via le poste-frontière de Qorday, qui mène presque tout de suite à la capitale, Bichkek (que j’évite néanmoins soigneusement, ainsi que sa circulation de folie). J’ai déjà découvert ce pays sauvage et montagneux en 2020, en hiver, quand j’y étais venue y faire du ski de randonnée. J’ai hâte d’y pédaler: on m’a dit que c’était le paradis des cyclistes qui aiment les routes de montagne, et je ne serai pas déçue.
Des faubourgs de Bichkek, j’emprunte tout de suite une partie de la fameuse route Bichkek-Osh, qui relie le Nord et le Sud du pays, via les montagnes. Celle-ci passe un premier col qui fait prendre plus de 2000m de dénivelé, à 3090m. De la steppe, un joli canyon aux couleurs magenta, et des montagnes encore légèrement enneigées: c'est joli, mais ça manque le côté sauvage sur cette grande route, où je me fais enfumer par la fumée noire sortant des camions, et dérangée par les klaxons stridents des voitures qui me saluent. On ne me laissera d’ailleurs pas passer à vélo le tunnel qui termine le col: celui-ci, antique et non aéré, a du gaz dangereux à l’intérieur, et je risque de me faire intoxiquer me dit-on. Alors, une gentille famille embarque mon vélo sur son pick-up, et se serre à l’arrière pour me faire de la place.

La descente tient toutes ses promesses, et me fait arriver sur un vaste plateau perché à 2200m d’altitude, peuplé seulement de quelques familles nomades, vivant chacune dans un mix de yourtes/roulottes. Elles semblent subsister via la vente de miel/fruits secs, et l’élevage de chevaux/brebis. Les enfants ne semblent pas aller à l’école, et gambadent gaiement dans la plaine, ou aident déjà leurs parents avec les bêtes.

Je quitte ensuite la route Bichkek-Osh et la circulation pour aller vers l’Ouest, en passant par un deuxième col, à plus de 3200m (qui a un petit air de cime de la bonnette sans les motards), pour descendre ensuite dans la steppe, à Talas. Autant les montagnes sont plaisantes, autant les villes des steppes sont sans charme, respirent la poussière et il y fait une chaleur accablante.
La suite de mon itinéraire - pour couper au plus court vers Samarcande - me fait prendre une route vers le sud-ouest qui ressemble à une départementale sur la carte routière; je comprends qu’elle sera sauvage.
Sur 300km, elle grimpe en montagne via 2 cols aux alentours de 3000m, silonnée seulement par quelques hameaux, le premier étant à 88km de la dernière ville de la steppe, Kyzyl-Adyr.
Quand je bifurque sur cette route, surprise, le bitume s’arrête au bout de quelques kilomètres, pour laisser place à une piste de terre, ce qui promet trois journées de vélo intenses et ardues.

Dans la steppe avant la bifurcation sur la M-037
Le premier jour, je m'élève bien lentement, de 1200m jusqu'au premier col à plus de 3200m, via 48 km de pistes de terre: tantôt ralentie par les nombreux troupeaux de brebis et vaches qui m'ensevelissent de belements sur leur passage, tantot par la raideur de la piste, qui m'oblige parfois à pousser le vélo. Mais avec cette impression d'être au bout du monde, entourée seulement par les bergers à cheval et leurs betes, dans une circulation quasi inexistante.


Je suis récompensée de mes efforts par une descente grandiose, sur l'autre versant du col, magnifiée par le patchwork de couleurs, formé de la terre ocre et magenta, l'herbe encore bien verte, le bleu cristallin des rivières, et le blanc des quelques névés. Celle-ci conduit à un plateau qui entame la vallée de la chatkal du nom de la rivière qui la traverse, entourée de hauts sommets glaciaires, pour un bivouac de luxe.


C'est cette vallée que je suis le jour d'après, sur un long plat descendant d'une centaine de kilomètres, rendu plus ardu par un vent de face. Celui-ci, généré par les différences de températures entre la montagne et les plaines me suit quotidiennement: il se lève toujours vers midi, forcit dans l'après-midi et se tarit à la nuit tombée, où j'ai enfin un peu de paix, et la possibilité de monter ma tente sans trop de chahut. Un petit retour à la civilisation en début d'après-midi, lors de la traversée des quelques hameaux pour lesquels la route se bitume sur une trentaine de kilomètres. J'attire alors la curiosité des enfants, qui accourent vers moi à la pause midi, me demandent si je trouve leur vallée belle. Ils alignent fièrement les 3 mots d'anglais qu'ils connaissent, puis finissent par sortie leur smartphone et Google translate. Sur leurs vélos, il ressemblent finalement étrangement à des écoliers occidentaux. On a beau être au milieu de nulle part, la technologie y a fait son entrée...


Le troisième jour, depuis le fond de vallée, je m'élève cette fois sur une trentaine de kilomètres et 1400m de dénivelé jusqu'au deuxième col, à 2800m d'altitude. Le paysage montagneux est encore plus austère que le premier jour; ici, même pas de troupeaux, seule une yourte solitaire traine, juste avant que la piste - particulièrement sablonneuse et glissante - se raidisse. Les quelques pick-up venus rapatrier le bétail égaré sont ici remplacés par des camions de chantier. Car oui, on essaie malheureusement de civiliser cette route, au risque qu'elle perde une partie de son charme et son caractère sauvage. A la montée, des tractopelles nivellent pour sûrement plus tard bitumer, alors qu'à la descente, alors que je m'approche des premiers villages et quitte la partie la plus isolée de la route, les camions commencent déjà avec des rouleaux compresseurs à appliquer des couches d'asphalte.


Cette dernière descente mi-caillouteuse/mi-sablonneuse finit de m'achever en secouant moi et ma monture de toute part, me faisant presque regretter de ne pas être venue avec un VTT suspendu. J'achève ces trois journées intenses en échouant à 15km de la première ville et ses promesses d'hôtel et de douche, de retour dans la steppe, pour un bivouac infesté de sauterelles et fourmis voraces. Je comprendrai vite que ces insectes (plus autres tiques, moustiques et étranges bourdons) ne seront pas mes amis, dès lors que je descends en altitude... Bien épuisée, mais avec la satisfaction d'avoir vécu une belle aventure !
Un premier aperçu de la Kirghizie donc, avant de filer en Ouzbékistan direction Samarcande. Je devrais retrouver le pays en Juillet, pour une exploration plus complète. Un pays qui se mérite, dès lors qu'on sort des principaux axes routiers. Même si je n'ai pas eu pour l'instant de contacts très poussés avec sa population plutôt discrète mais neanmoins bienveillante, je suis déjà conquise par ses beaux cols, spots de bivouac idylliques, et routes sauvages !
Commentaires